Le monde du silence

Cette soirée lui paraissait interminable. La seule raison qui l’avait décidé à y assister, c’était que les fonds récoltés seraient reversés aux orphelins de la ville de New-York. D’ailleurs Paula le savait parfaitement, et avait habilement usé de cet argument pour le faire céder. Kate avait accepté de l’y accompagner, mais une enquête de dernière minute l’avait obligée à se désister, et il en gardait une certaine amertume. D’autant qu’au regard dépité de Kate, il avait su qu’elle en était tout aussi désappointée. Comment passer une agréable soirée alors que la seule femme qu’il désirait voir ne ferait pas d’apparition surprise ? Comment passer une agréable soirée lorsque son esprit se trouvait à ses côtés, espérant qu’elle ne mettait pas sa vie en danger ? Un soupir lui échappa, et il envisagea une nouvelle fois de s’éclipser, mais sa conscience le rappela à l’ordre, conscience qui ces derniers temps avait la voix de Kate. Regardant sa montre pour la énième fois, il soupira de nouveau en constatant qu’il était coincé ici pour encore deux longues heures. Une éternité.

Jetant un regard sur la salle, il poussa un nouveau soupir de dépit en voyant le regard de toutes ces femmes. Il était flatté, mais pas intéressé. Un seul être vous manque, et tout est dépeuplé. Dieu que ce dicton disait vrai. La seule femme dont il désirait la présence ce soir n’était pas là, et il n’avait qu’une envie, courir la rejoindre, débarquer sur la scène de crime, deux cafés en mains, juste pour voir ce demi-sourire qu’elle affichait en le voyant. Bien sûr, il n’aurait su dire si c’était lui ou les cafés qui la faisait sourire et qui faisait naître cette étincelle dans son regard, mais seul le résultat comptait. Profitant du passage d’un serveur, il se saisit d’une coupe de champagne, qu’il porta à ses lèvres, laissant son regard courir sur la foule bruyante. Visiblement, il était le seul à s’ennuyer ferme. Il aurait bien appelé Kate, mais s’il la dérangeait pendant un interrogatoire, ou pire en plein débriefing avec Gates, elle allait le tuer. Mieux valait ne pas tenter l’expérience. Ignorant les œillades encourageantes de la gente féminine, il fendit la foule à la recherche de Paula.

Malgré ses bonnes résolutions, il n’en pouvait vraiment plus. Il avait fait acte de présence, avait fait une importante donation, avait signé quelques autographes, s’était prêté au jeu des photographes. Il avait rempli sa part du contrat, et même si la soirée était loin de toucher à sa fin, il estimait qu’il pouvait partir sans remords. Paula tenterait de le faire changer d’avis, mais il se montrerait intraitable. Il préférait depuis un moment déjà se trouver sur une scène de crime aux côtés de Kate, plutôt que dans une de ces soirées où il s’ennuyait à mourir. Sauf bien évidemment lorsque sa muse l’accompagnait, ce qui n’était définitivement pas le cas ce soir. Au bout de ce qui lui sembla être une éternité, il repéra enfin Paula qui devisait gaiement avec le grand patron de Black Pawn. Ce constat le stoppa quelques minutes dans son avancée, mais du coin de l’œil, il repéra une groupie qui fonçait droit dans sa direction, et reprit sa marche vers Paula. Il avait atteint ses limites et il devait sortir d’ici avant d’exploser.

« Désolé de vous interrompre aussi cavalièrement, mais je dois parler à Paula. Je vous la rends dans cinq petites minutes » lança-t-il en attrapant le bras de son agent, sans laisser le temps à quiconque de protester.

« Mais enfin Richard ! Qu’est-ce qu’il te prend de te comporter comme un malotru ? » S’offusqua Paula en le suivant contre son gré.

« Il me prend que j’en ai assez de ces soirées et que tu le sais. Je suis venu, j’ai fait une généreuse donation, j’ai fait tout ce que tu m’as demandé. Mais maintenant je m’en vais. » Déclara-t-il posément en plantant un regard déterminé dans les grands yeux éberlués de son agent.

« Je suppose que rien de ce que je pourrai dire ne te ferai changer d’avis. » soupira Paula en secouant la tête avec découragement.

« Non. Je vais aller rejoindre Beckett et l’aider à résoudre un meurtre. J’estime cela plus important que de rester ici à faire risette. Je sais que faire acte de présence dans ce genre de soirée fait partie de mes obligations, mais je n’y resterai pas plus que nécessaire » répliqua-t-il fermement.

« Très bien ! Va la rejoindre ! Je trouverai une excuse pour Black Pawn ! » abdiqua-t-elle finalement consciente qu’elle ne l’emporterait pas face à la muse de son écrivain.

« Merci Paula, je te revaudrai ça ! » sourit-il en lui déposant un baiser sur le front.

« Tu as intérêt à ce que ton prochain roman soit classé Best seller dès sa sortie ! » le menaça-t-elle d’un ton faussement bourru.

« Avec Nikki Heat ? Comme s’il pouvait en être autrement ! » S’exclama-t-il d’un ton faussement outré.

Sur un sourire complice, il fit demi-tour et se hâta vers la sortie, signant quelques autographes au passage et évitant habilement quelques fans un peu trop insistantes. Il récupéra son manteau auprès de l’ouvreuse qu’il remercia d’un sourire éclatant et s’élança vers l’extérieur, pressé de respirer à nouveau l’air frais de cette paisible nuit. Jetant un nouveau regard à sa montre, il constata que Kate ne devait plus être sur la scène du crime, et il décida de l’appeler pour qu’elle l’informe de l’endroit où il devait la rejoindre. Il savait déjà qu’il s’arrêterait dans son starbuck préféré pour lui apporter un double café vanillé ainsi qu’un muffin à la framboise. Souriant à cette idée, il appuya sur la touche de raccourci qu’il lui avait attribuée, et laissa la sonnerie retentir à l’autre bout de la ligne.

« Qu’est-ce que vous voulez Castle ? » répondit-elle finalement, et il perçut le sourire dans sa voix.

« Besoin de renfort lieutenant ? » sourit-il un peu plus, heureux de simplement entendre le son de sa voix.

« Vous vous ennuyez de moi ? » s’amusa-t-elle et il avait juste à fermer les yeux pour la voir se mordre la lèvre d’un air provocateur.

« Vous n’avez pas idée ! » répliqua-t-il d’une voix rauque avant d’ajouter pour ne pas laisser le malaise s’installer « J’ai fui cette petite sauterie, et je me suis dit que je pourrais venir vous casser les pieds »

Un sourire étira ses lèvres en imaginant sa muse rouler des yeux en secouant la tête d’un air désabusé tout en refoulant le sourire qui naissait inévitablement sur ses lèvres chaque fois qu’il la taquinait de la sorte.

« Je suis au precinct à remplir ma paperasse. Le cas est déjà résolu, et connaissant votre empressement à m’aider à remplir les rapports, je pense que vous pouvez rentrer chez vous Castle » rit-elle doucement.

« Dommage… moi qui avait prévu de vous apporter votre café préféré… » la tenta-t-il en souriant, même s’il avait esquissé une légère grimace au mot paperasse.

Durant toute la conversation, il avait avancé jusqu’à sa voiture dont il sortit les clés, actionnant l’ouverture des portes automatiques. Au moment où le bip retentissait dans le silence de la nuit, une formidable explosion se faisait entendre, faisant décoller la voiture de l’écrivain du sol. Le souffle de l’explosion se répercuta sur les voitures les plus proches, les faisant exploser à leur tour et vint fatalement frapper Castle de plein fouet. Le souffle chaud l’enveloppa et l’emporta comme un fétu de paille à plusieurs kilomètres avant de relâcher son étreinte brûlante, l’abandonnant sans connaissance sur le trottoir, son cellulaire à plusieurs mètres de lui.

« Castle ? Qu’est-ce que c’était que ce bruit ? Castle ? Castle ! » S’égosilla vainement Kate dans le combiné.

Paralysée par l’angoisse, elle restait là, son cellulaire vissé à l’oreille, écoutant les explosions se répercuter à l’infini. Ce n’est que lorsque la dernière retentit à son oreille, qu’elle comprit ce qu’il venait de se passer.

« Esposito contacte le central, il y a eu un attentat à la bombe au Metropolitan ! Ryan, les ambulances ! » cria-t-elle sans lâcher son téléphone, espérant entendre la voix de son partenaire.

« Depuis quand nous occupons-nous de ce secteur ? » l’interrogea Esposito tout en passant l’appel.

« Castle était là-bas ! » s’exclama-t-elle en enfilant sa veste avant de se ruer vers les ascenseurs.

« Décidément, pour un écrivain il est particulièrement doué pour s’attirer des ennuis ! » entendit-elle Ryan marmonner.

Mais elle ne s’attarda pas, trop pressée de se rendre sur les lieux, priant pour que son partenaire ne soit pas gravement blessé. A l’idée qu’il puisse lui être arrivé malheur, son estomac se retourna, et la bile envahit sa bouche. Elle aurait dû être avec lui. Elle n’arrivait pas à croire qu’une fois encore elle avait failli à son rôle, et qu’il était une fois de plus confronté à la mort. Son impuissance la frappa de plein fouet, et elle accéléra l’allure, son téléphone dans la main, alors qu’à l’autre bout de la ligne, seul l’écho des explosions et les cris de la foule se faisaient entendre.